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Comment je devins auteur dramatique
Je venais d’avoir vingt ans, lorsque ma mère entra un matin dans ma chambre, s’approcha de mon lit, m’embrassa en pleurant, et me dit : — Mon ami, je viens de vendre tout ce que nous avions pour payer nos dettes. — Eh bien, ma mère ? — Eh bien ! mon pauvre enfant ! nos dettes payées, il nous reste deux cent cinquante-trois francs. — De rente ?… Ma mère sourit tristement. — En tout ?… repris-je. — En tout. — Eh bien ! ma mère, je prendrai ce soir les cinquante-trois francs, et je partirai pour Paris. — Qu’y feras-tu, mon pauvre ami ? — J’y verrai les amis de mon père, le duc de Bellune, qui est ministre de la guerre, Sébastiani, aussi puissant de son opposition que les autres le sont de leur faveur. Mon père, plus ancien qu’eux tous comme général, et qui a commandé en chef quatre armées, en a eu quelques-uns pour aides de camp, et les a vus passer presque tous sous ses ordres ; nous avons là une lettre de Bellune, qui constate que c’est à l’influence de mon père qu’il doit d’être rentré en faveur près de Bonaparte ; une lettre de Sébastiani, qui le remercie d’avoir obtenu que lui, Sébastiani, fit partie de l’armée d’Égypte ; des lettres de Jourdan, de Kellermann, de Bernadotte même. Eh bien ! j’irai jusqu’en Suède, s’il le faut, trouver le roi, et faire un appel à ses souvenirs de soldat. — Et moi, pendant ce temps-là, que deviendrai-je ? — Tu as raison ; mais, sois tranquille, je n’aurai besoin de faire d’autre voyage que celui de Paris. Ainsi, ce soir, je pars. — Fais ce que tu voudras, me dit ma mère en m’embrassant une seconde fois ; c’est peut-être une inspiration de Dieu. Et elle sortit. Je sautai à bas de mon lit, plus fier qu’attristé des nouvelles que je venais d’apprendre. J’allais donc à mon tour être bon à quelque chose, rendre à ma mère, non pas les soins qu’elle avait pris de moi, c’était impossible, mais lui épargner ces tourments journaliers que la gêne traîne après elle, assurer par mon travail ses vieilles années, à elle, qui avait veillé avec tant de soin sur mes jeunes ans ; j’étais donc un homme, puisque l’existence d’une femme allait reposer sur moi ! Mille projets, mille espoirs me traversaient l’esprit ; j’avais à la fois de la joie et de l’orgueil dans le cœur, cette certitude de succès, qui est une des vertus de la jeunesse ; car elle prouve que les autres pourraient compter sur vous comme vous pensez pouvoir compter sur eux. D’ailleurs il était impossible que je n’obtinsse pas tout ce que je demanderais, quand je dirais à ces hommes dont dépendait mon avenir : Ce que je réclame de vous, c’est pour ma mère, pour la veuve de votre ancien camarade d’armes, pour ma mère, ma bonne mère !...